L'abominable calvaire d'un français, récit entre tous dramatique. Cette histoire est citée comme épisode, car bien d'autres habitants en Agenais, furent, en cette journée du 21 mai 1944, les frères de malheur de Jean Abouly, au cours de la grande rafle qui ensanglanta Vergt-de-Biron, Lacapelle-Biron, Gavaudan, Salles, Fumel, Monsempron, Mantagnac-sur-Lède, Frayssinet-le-Gélat.
Dans la nuit du 20 au 21 mai 1944, à minuit, l'alerte était donnée aux unités de la Division S.S. "Der Führer", cantonnées en Tarn-et-Garonne, à Caussade et Montauban. Branle-bas de combat ! Brefs commandements. Les colonnes légères s'élancent, au grondement des moteurs. Vers le nord-ouest, une vaste opération d'ensemble contre le Maquis est engagée sur un front allant de Villeneuve-sur-Lot à Freyssinet-le-Gélat (environ 50 kilomètres).
Parmi les nombreux et sanglants épisodes de cette mémorable journée, seuls les incidents dont les communes de Dévillac, Vergt-de-Biron et Lacapelle-Biron furent le théâtre seront évoqués.
A la pointe du jour, les Allemands sont arrivés à Vergt-de-Biron.
Longue colonne de camions chargés d'hommes en armes, de voitures de tourisme portant les officiers et de chenillettes.
Le tertre élevé de Vergt-de-Biron, plutôt hameau que village, sur la frontière du Lot-et-Garonne et de la Dordogne, avec son église à flèche élancée, son école et ses trois maisons, sera le quartier général des Allemands, face au château historique de Lacapelle-Biron et à la forêt touffue, recouvrant de son manteau vert sombre les coteaux environnants.
Des 6 heures, heure allemande (4 heures solaire), les Allemands occupent le village.
Tous les hommes de la commune et du voisinage sont arrêtés, revolver au poing, et amenés, selon l'habitude des S.S. - environ 70 personnes - dans l'église.
Aussi à Dévillac, village voisin, liste en main, les Allemands sont venus arrêter Abouly Jean, propriétaire-agriculteur, au lieu dit "Freysses".
L'arrestation a lieu "en force".
Les Allemands font feu sur Abouly, placé face au mur du poulailler ; simple simulacre, mais terrassé par l'émotion, le malheureux tombe en syncope. Son calvaire ne fait cependant que commencer.
Arrêté ainsi que sa femme et un réfractaire, Jacques Bouvier, pseudo-domestique agricole, les trois personnes sont aussitôt conduites à Vergt-de-Biron, à 3 kilomètres, pour être interrogées sur les dépôts d'armes recherchés par les Allemands.
Mais, au domicile d'Abouly, c'est, en même temps, le pillage.
Les soldats enlèvent :
- tout le linge ;
- les bijoux ;
- les provisions ;
- la vaisselle ;
- les vêtements ;
- trois bicyclettes ;
- une truie.
A Vergt-de-Biron, la scène de torture commence. Abouly est pendu par les pieds a l'aide d'une énorme corde sous le hangar des époux Campedel.
Un officier S.S. grand, blond, coiffé d'une casquette - un lieutenant, il a deux étoiles d'argent sur la patte d'épaulette - dirige le supplice.
Cet homme est jeune, racé, élégant, montre-bracelet avec gourmette en or, monocle, strictement ganté, bottes vernies.
Sous ses ordres et en sa présence, à tour de rôle, les soldats ayant, pour être plus agiles, quitté leur vareuse, armés de pieux de châtaignier, frappent à coups redoublés Abouly qui hurle si fort qu'à plus de trois cents mètres, des voisins effrayés entendent ses cris.
Les tortionnaires sont plus de cinquante. Vraie meute hurlante faisant un effroyable vacarme pour couvrir, par leurs hurlements, les plaintes d'Abouly.
Ce dernier lance enfin l'appel des désespoirs suprêmes :
"Mamaï, Mamaï (Maman ! Maman !) dans ce patois languedocien, sa langue habituelle.
L'un des soldats l'atteint alors au visage. Le sang gicle. A ce moment une sorte de délire, de folie collective s'empare des soldats. Cette vue du sang les déchaîne. Ils dansent, sautent, applaudissent, tandis que de plus en plus faiblement les cris de la victime se font entendre.
C'est, en vérité, la danse du scalp, horreur difficilement concevable pour nous. Vision d'horreur, vision dantesque.
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La dame Fleurat Crésa, restauratrice à Vergt-de-Biron, a vu Abouly, pendu tout nu par un pied sous le hangar et les soldats allemands le frapper à coups de barre et de maillet durant toute la journée jusqu'à ce qu'il fût comme mort. Elle a vu aussi les soldats allemands danser et applaudir autour du supplicié.
La dame Campedel Gabrielle a été aussi témoin du martyr d'Abouly.
Cet horrible supplice cesse enfin lorsque Abouly n'est plus qu'une chose inerte. Abouly défaille, mais il ne parlera pas. Il mourra en héros, sans avoir "donné" les secrets du maquis.
Le témoin Boissière Antoine, sexagénaire, amené par un soldat allemand de l'église à sa maison voisine, aperçoit la scène.
Voyant Boissière, l'officier, rendu furieux par la présence de ce témoin, se précipita sur lui aux cris de : "R'aus ! R'aus !" et le repousse au large.
Abouly, sans force, quasi-inanimé, est étendu sur le siège d'un camion. Il s'effondre. On le couche alors sur le capot d'une chenillette. Sa figure est gluante de sang. Il est inerte.
Les soldats le couvrent d'une bâche.
La rafle est terminée. Soixante-dix otages arrêtés et enfermés dans l'église sont chargés sur les camions allemands et emmenés de Vergt-de-Biron à Agen.
Abouly, agonisant, est jeté sur l'un des camions à côté de la truie volée chez lui par les pillards. La bête, sur le point de mettre bas, se libère de sa progéniture sur le mourant et le couvre de ses déjections, étouffant ses derniers râles.
Vision d'épouvante dans ce camion où sont entassés les otages impuissants à venir en aide à leur camarade de malheur, gardés par deux S.S., torse nu revolver au poing. X.... un Israélite, a raconté l'agonie d'Abouly, ayant pu sauter ensuite du camion en marche, profitant d'un moment d'inattention de ses gardiens en glissant hors des "ranches" au risque de se rompre les os. Ce rescapé des événements a raconté à des tiers les atrocités dont il avait été le témoin et le miraculeux rescapé. (Témoignage de M. Breil, rue Sainte-Catherine, à Villeneuve-sur-Lot).
Il n'a pas été possible, malgré nos recherches minutieuses, de découvrir le corps d'Abouly abandonné par les Allemands en un point ignoré.
Le lendemain, sa femme et les autres personnes arrêtées étaient conduites à Agen, puis interrogées par la Gestapo et torturées.
Le mardi, 23 mai, les soldats allemands revenaient pour la deuxième fois chez Abouly à Dévillac et continuaient le pillage de la maison.
Ils emportaient un jambon, des mouchoirs, 50 litres de vin blanc, une barrique de vin rouge, 15 dindonneaux, neuf vaches, trois veaux, les roues d'une automobile. Le préjudice dépassait à l'époque le demi-million.
Enfin, le 26 mai, les Allemands allaient pour la troisième fois, avec persévérance et acharnement encore à Freysse, chez Abouly.
Ils abattaient sauvagement, sur la route, à proximité de la maison Abouly, le jeune Domingie Yvan, 23 ans, qui revenait en automobile du village voisin, Le Laussou, chercher du pain pour sa famille. Exécution sans sommation.
Ce meurtre sans excuse clôturait les exploits des S.S. dans cette région.
L'un des auteurs responsables des événements, tortures et arrestations des autres personnes du voisinage, est connu. Il s'agit d'un sous-officier affecté au service de la Gestapo à Agen.
L'officier responsable de l'opération de Dévillac (Lot-et-Garonne) et Vergt-de-Biron (Dordogne) est un commandant du régiment "Das Reich". Cela résulte des déclarations d'un soldat, alsacien d'origine, recueillies le 10 janvier 1945.
Ce soldat s'est exprimé en ces termes : "Vers la fin de mai, nous sommes allés dans la commune de Vergt-de-Biron où des maquisards avaient été signalés à la Gestapo d'Agen.
Des membres allemands de ce service participaient d'ailleurs à cette expédition.
Un commandant était à la tête de cette opération. C'est lui, accompagné de ses officiers et sous-officiers, qui effectua la perquisition dans une ferme (ferme Abouly) qu'ils pillèrent et d'où ils emportèrent toutes les provisions ainsi que le bétail."
"Ils arrêtèrent le père et le fils (le soldat se trompe : ils arrêtèrent Abouly, le fermier, marié, sans enfants, et son apparent domestique, le jeune Jacques Bouvier, réfractaire du S.T.O. caché chez lui, comme domestique) les pendirent par les mains à une poutre d'un hangar à tour de rôle, où ils les frappèrent de toutes leurs forces jusqu'à ce qu'ils aient indiqué le lieu où étaient cachées les munitions de ce groupe de résistance. (Ceci est faux. Abouly n'a pas parlé.) Le père (Abouly) est mort des suites des coups qu'il avait reçus. Je ne sais pas ce qui fut fait du fils (Jacques Bouvier, le pseudo-domestique fut déporté) et ils emmenèrent également la mère.
"Pendant qu'ils effectuaient leur "travail", ils avaient fait mettre tous les soldats alsaciens derrière la ferme gardés par un gradé allemand afin qu'ils ne puissent voir."
Un lieutenant non identifié avait annoncé que, si le dépôt d'armes dont les Allemands avaient connaissance par dénonciation n'était pas découvert, les soixante-dix otages enfermés à Vergt-de-Biron seraient fusillés.
De justesse, les habitants de ce village risquèrent donc un même destin que celui qui fut fatal à la population d'Oradour-sur-Glane.
D'autant que le commandant devait, par la suite, commander l'horrible massacre d'Oradour-sur-Glane, donnant ainsi sa mesure.
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Le même jour, le coquet village de Lacapelle-Biron, voisin de celui de Vergt-de-Biron, devait payer lui aussi, son tribut à la sauvagerie allemande.
M. Souchal, qui fut déporté, maire actuel* (*lors de la rédaction de ce document, note du webmestre) de Lacapelle-Biron, nous a donné un récit de "la chasse à l'homme" à laquelle se livrèrent, dans cette commune, les Allemands.
"A Lacapelle, une souricière avait été mise en place, à chaque entrée du village.
"Les boches allèrent trouver le Maire, M. Lagarrigue, âgé de 71 ans, et firent amener l'appariteur : une vieille femme de 78 ans. Après l'avoir brutalisée, ils la firent monter sur une camionnette, sous la surveillance d'un soldat allemand, et parcourir toute l'agglomération. A chaque carrefour, elle devait annoncer, au son du tambour, le rassemblement immédiat de tous les habitants mâles, sans exception.
"Ce rassemblement eut lieu sur la place, à l'endroit où s'élève, actuellement, le Monument. L'appel fut fait par le Maire, avec, pour contrôle, le registre de la mairie.
"Le Maire était tellement troublé qu'il appela des morts, ce qui provoqua une réflexion acerbe du Commandant S.S.
"Après l'appel, les hommes furent emmenés dans une prairie, sur la route de Gavaudun, gardés a vue, comme sur la place, par des boches armés de mitrailleuses. Ils restèrent là toute la journée sans ravitaillement. Dans l'après-midi, quelques rares femmes eurent, quand même, la permission d'apporter des vivres et à boire aux prisonniers.
"Soixante hommes furent ainsi rassemblés, dont le prêtre.
Dans la journée, les boches trièrent ces hommes et gardèrent ceux dont l'âge était compris entre 18 et 60 ans, soit 47. Les autres furent relâchés. Un seul s'était échappé : Domingie, de Dévillac. Il fut surpris le lendemain par une patrouille et fusillé.
"A 18 heures, les hommes furent ramenés sur la place.
A 18 h. 45, ils montèrent sur des camions. La colonne, escortée des S.S., fit route en direction de "Majoulassy", à l'Hôtel des Roches, de Gavaudun, où elle arriva à 18 h. 30.
"Là, d'autres prisonniers furent joints à la colonne. Toute personne circulant sur les routes environnantes était, en effet, arrêtée dans la région de Lacapelle-Biron. Des paysans travaillant dans leurs champs, comme Zamora, de Gavaudun, furent appréhendés. Un mutilé de la guerre de 1914, Laparre Oswald, veut avoir des nouvelles de son fils arrêté. Il est parqué et déporté. Dans l'Hôtel des Roches, se trouvaient plusieurs officiers S.S. dont l'un circulait dans une traction avant, en compagnie d'une femme blonde "la Hupcher", agent de la Gestapo. De "Majoulassy" repartit, après une attente de une heure et demie, la colonne complète, formée de 118 prisonniers. Les nouveaux venaient de Dévillac, de Vergt, de Gavaudun, Salles ou des communes environnantes : Fumel, Monsempron, Montagnac-sur-Lede.
"A noter que, pendant l'appel de Lacapelle et toute la journée, des brutalités furent exercées par les boches, en particulier sur un jeune motocycliste, lequel fut jeté à terre, roué de coups, piétiné, frappé de coups de crosse, etc... Au Laussou, il y eut, aussi, de nombreuses arrestations, ainsi qu'à Vergt, Gavaudun, Salles ou dans les communes environnantes.
La colonne fut enfin emmenée à Agen, Caserne Toussaint.
Là, une harangue fut adressée aux prisonniers par la femme blonde qui se trouvait dans la traction du Commandant allemand, chef de la colonne. Puis ce fut la déportation.
Parmi les 118 déportés de la rafle, 52 devaient mourir en terre allemande.
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ARRÊTÉS LE 21 MAI 1944 et DÉCÉDÉS EN DÉPORTATION |
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01. ABMED Mustapha |
30. LAFABRIE Roger ABOULY Ernest |
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ARRÊTÉS LE 21 MAI 1944 et RAPATRIÉS |
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01. ALBAGNAC Gilbert |
34. LACROIX Maurice |
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ABITCOUL Charles |
DALIA Navaro |
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Casseneuil LOUBIÈRES André GRABIER André Fumel BOIZARD Charles Monflanquin CHAMPAGNE José BARMIER Georges Villeneuve-sur-Lot AUZIAS Henri |
Sainte-Livrade-sur-Lot GOME Adro Dausse FOURNIÉ Pierre GRUMBLAT Abraham MALARDEAU Henri ITEN Jean Dévillac ABOULY Ernest CAMINADE Raoul ANGELY Fernand Tournon-d'Agenais DELRIEU Jean |
(Merci à Livio Dalle-Grave à qui le document appartient.)
Chaque année, à la date anniversaire, l'association capellaine "Mémoire vive" et la commune de Lacapelle Biron organisent une cérémonie du souvenir à caractère départemental au cours de laquelle le martyrologe est lu par des descendants des déportés
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